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La famine menace le sud de Madagascar frappé par la sécheresse

Près de 1,4 million de personnes sont en insuffisance alimentaire, dont 850 000 dans un état grave à cause d’un déficit de pluie dû à El Nino.

Par  (Amboasary, Madagascar, envoyé spécial)

Publié le 09 décembre 2016 à 09h02, modifié le 12 décembre 2016 à 09h36

Temps de Lecture 5 min.

Un vent fort balaie la vallée depuis le début de la matinée. La poussière qu’il soulève cingle les yeux et balaie tout espoir : il ne pleuvra pas. Pas aujourd’hui, pas demain. Dans le sud de Madagascar, la sécheresse qui sévit menace aujourd’hui 1,4 million de personnes, et principalement les enfants et les personnes âgées.

L’absence de pluies abondantes dans la région d’Amboasary est liée au phénomène climatique El Nino. Dans cette commune de 38 000 habitants, située à environ 75 km de Fort-Dauphin, la situation est inquiétante au centre de soins du sud de la ville. « Nous avons aujourd’hui des cas de malnutrition aiguë sévère, déplore Mamy Razanamahefa, médecin. Les patients consultent aussi pour des cas de diarrhées et des infections respiratoires chroniques. Il n’a pas plu ici depuis deux mois, juste une petite averse il y a deux semaines. Les gens sont épuisés et n’ont plus rien à manger. » « La malnutrition aiguë sévère est une condamnation à mort assurée, rappelle Olivier Banquet, directeur d’Action contre la faim à Madagascar. Cette situation fait de la malnutrition un enjeu de santé et de développement majeur, pourtant à ce jour il reste sous-financé. »

92 % de la population en dessous du seuil de pauvreté

Cette crise alimentaire survient après déjà trois années déjà difficiles dans le sud de Madagascar, l’un des pays les plus pauvres du monde, où 92 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté. « Depuis six ans, le taux de malnutrition ne cesse d’augmenter », s’inquiète Mamy Razanamahefa.

Nizalovasoa, une petite fille de 21 mois en état de malnutrition aiguë, dans le village d’Andranobory, dans le sud de Madagascar, début décembre 2016.

Le 2 décembre à Paris, le pays a obtenu 5,9 milliards d’euros des bailleurs de fonds (Banque mondiale, Banque africaine de développement (BAD), Union européenne et agences des Nations unies…) pour remettre sur pied l’économie d’un pays mis à mal par cinq années d’instabilité politique. Une partie de la somme arrivera-t-elle cette fois jusqu’à la région d’Amboasary pour construire des infrastructures et notamment des routes qui sont dans un état désastreux ? L’avenir le dira. Cette région du pays a toujours été « oubliée » par les autorités.

Le sud est actuellement en période de « kere », de soudure. C’est le moment qui précède les premières récoltes et où le grain de la récolte précédente manque, puisque les réserves sont vides. L’absence d’eau a fait chuter la production de maïs de 80 % par rapport aux niveaux enregistrés depuis 2015, qui affichaient déjà une régression. Mais la production de riz et surtout de manioc est également en baisse. Près de 850 000 personnes sont en situation de grave insécurité alimentaire, ce qui signifie qu’elles ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins nutritifs et devront compter sur une aide alimentaire d’urgence.

Des bœufs bradés sur le marché

« Après avoir subi déjà deux ou trois saisons de crise, les ménages sont fortement affectés et ils n’ont plus les capacités d’affronter une nouvelle situation d’urgence, estime Luc Genot, coordonnateur des urgences de la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. S’il n’y a pas d’appui, on risque de se retrouver face à une crise alimentaire majeure qui coûtera plus chère par la suite. Les familles ont déjà vendu beaucoup de leur moyen de production, comme leurs bœufs. Estimés à 700 ou 800 000 ariary [la monnaie malgache], ils ont été bradés sur les marchés à 100 000 pour faire face à l’urgence. » Beaucoup en sont réduits à manger des figues de barbarie, qui poussent sur les feuilles de cactus et que l’on trouve sur les étals des marchés, ou des mangues roulées dans la cendre pour apaiser la faim.

Dans le village d’Andranobory, le ciel est gris, saturé de poussières. Le vent s’engouffre dans les ruelles sablonneuses et les rafales font claquer les vêtements usés sur les corps maigres. L’atmosphère plonge le visiteur dans un autre monde, un autre temps. Ici, il n’y quasiment rien à manger et plus de médicaments depuis qu’un réfrigérateur vétuste a mis le feu au centre de santé, le 7 octobre.

Un océan de désespoir

Il est 11 heures et une foule compacte s’avance maintenant devant la mairie en espérant un subside ou juste une bonne nouvelle du médecin ou du maire. Lentement, le docteur mesure le bras d’une fillette que lui présente sa maman. Nizalovasoa a les cheveux courts et ébouriffés, quasiment 2 ans mais en paraît beaucoup moins. Depuis trop longtemps, elle ne mange qu’un repas par jour, un reste de manioc ou de sorgho, avec quelques graines de dolique ou de niébé. Au niveau de son biceps, le tour de son bras est maigre : il fait moins de 11 cm… Sa mère le voit et, dans son regard à cet instant, se lit un océan de désespoir.

Selon l’UNICEF, la moitié des enfants malgaches de moins de 5 ans souffrent de malnutrition, ce qui entraîne des bouleversements physiques mais également un ralentissement de leur développement intellectuel. Les conséquences à l’échelle du pays sont importantes. Faute de pouvoir étudier convenablement, ces 2 millions d’enfants ne pourront pas produire pour leur pays. Une étude réalisée par l’organisation onusienne a montré que la Grande Ile perd ainsi chaque année, en termes de productivité économique, 700 millions de dollars (660 millions d’euros) à cause de la malnutrition.

A Andahive, une commune de 505 habitants, la situation semble moins critique. La FAO a distribué des tiges de patate douce améliorées qui résistent à la sécheresse et s’adaptent aux conditions particulières du secteur. Sur une parcelle mise à la disposition de la communauté, les résultats sont encourageants. « Les hommes labourent et les femmes plantent, tout le monde travaille ensemble, assure Hihaly, président du groupement des producteurs de semences. L’an dernier, le village était en grande difficulté mais aujourd’hui, les conditions se sont nettement améliorées. On donne même parfois des tiges de patate douce aux villages alentour. »

« Comme d’autres semences du même type, les tiges de patate douce sont une solution à la malnutrition. Mais ce qui marche à un endroit ne marche pas forcément ailleurs, rappelle Luc Genot. Il faut des politiques basées sur le long terme. Et, dans tous les cas, il faut de la pluie. » Si les prévisions globales ne sont pas bonnes jusqu’à mi-janvier, elles pourraient s’améliorer ensuite. Mais pour Nizalovasoa et tant d’autres enfants, c’est maintenant qu’il y a urgence.

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